Evidemment, nous voulons tous prendre les meilleures décisions. Pour notre vie professionnelle, notre son entreprise, mais comment faire ? Y-a-t-il une méthode ? Les infographies sur « les biais décisionnels » fleurissent sur les réseaux sociaux, nous mettant en gardant contre le « biais de confirmation » ou le « biais du gourou ». Mais, en tant que manager ou dirigeant, comment utiliser cette fabuleuse connaissance scientifique dans notre quotidien ? Astuces pratiques et concrètes dans cet article.
1/ L’intuition, pas toujours bonne conseillère
Pour la petite histoire…
Lorsqu’on évoque la prise de décision, nous sommes souvent exposés à deux écoles : les analystes et les intuitifs. Certains nous disent « étudie toutes les hypothèses » ; d’autres « écoute-toi et fonce ». Cette scission s’est également observée au niveau scientifique dans les années 1990-2000 avec deux grands courants de pensée. D’une part, l’école « naturaliste » de Klein, qui suite à l’observation de situations extrêmes, conclut que l’intuition est meilleure conseillère. D’autre part, l’école « des heuristiques et des biais » de Kanheman, qui après observation en laboratoire, souligne les erreurs grossières d’approches uniquemet intuitives. Fait rarissime, ces 2 chercheurs de génie unissent leurs forces pour une étude commune sur la prise décision dont les résultats sont, par essence, dénués de tout biais.
Que retenir sur le rôle de l’intuition ?
Dans cette étude, Klein et Kanheman apportent une réponse claire. L’intuition ne fonctionne que dans certaines conditions :
- L’environnement est régulier et prévisible : l’intuition est possible car nous avons mémorisé les facteurs de succès lors d’expériences précédentes. C’est par exemple le cas chez les pompiers qui rencontrent certains types de feux, les joueurs d’échecs qui anticipent les coups sans même y penser. En revanche, dans les professions aux contextes mouvants et volatiles, tels que la Bourse ou la psychiatrie, l’intuition est mauvaise conseillère. Aucune expérience passée ne représente vraiment le présent.
- L’expérience est significative et a fait l’objet de feed-backs rapides et clairs : Nous avons suffisamment exercé, avons vécu suffisamment de situations pour nous forger une « intuition ». Nous avons bénéficié du retour des autres pour améliorer notre maitrise d’un sujet.
Sans environnement régulier et prévisible, sans expérience significative avec feed-backs, l’intuition n’est pas plus fiable qu’un lancer de dés.
Et si nous sommes absolument sûrs de notre intuition ?
La force de l’intuition n’est pas garante de sa justesse ! C’est bien souvent notre envie ou notre ego qui s’expriment au nom de l’intuition….
En pratique
Avant toute décision, interrogez-vous :
- Le contexte est-il fiable et régulier ?
- Ai-je une expérience suffisante ayant fait l’objet de feed-backs ?
Si vous répondez « non » à l’une de ces 2 questions, n’écoutez pas seulement votre intuition. Couchez sur le papier votre premier ressenti et passez à l’analyse. Gardez en tête qu’en règle générale, comme souligné par Olivier Sinoby dans « Vous allez commettre une terrible erreur », « Plus une décision est stratégique, moins l’intuition est bonne conseillère. »
2/ 5 méthodes pour analyser et mieux décider
La liste des possibilités est longue. Ici, sont uniquement mentionnées les techniques les plus facilement applicables en entreprise, au quotidien et même dans sa vie personnelle.
Méthode #1 : Définir en amont des critères de choix
Qu’il s’agisse d’investissement industriels, d’axes créatifs, d’allocations budgétaires, bien souvent nous nous remémorons les critères de choix au moment même de faire le choix. Trop tard. Nous avons déjà été influencés.
Avant toute décision, il est essentiel de définir par écrit les critères qui guideront le choix. N’en définissez pas trop, entre 3 et 5 maximum. Au-delà, l’exercice devient trop complexe et perd en pertinence. Utilisez cette matrice de décision au moment T.
Parfois, nous sommes confrontés à des choix qui trainent en longueur. Dois-je poursuivre ou arrêter cette activité ? Dois-je restructurer telle ou telle unité ? Naturellement, nous aurons tendance à laisser trainer, à continuer, à nous enfoncer dans la voie prise, même malgré l’apparition d’éléments nouveaux qui pourraient remettre à question notre engagement initial. Ce phénomène est connu sous le nom de « Théorie de l’engagement » ou « Destinationite ». Il est extrêmement difficile de mettre un terme à une action engagée. La parade consiste à définir des seuils d’alerte. Ecrivez en amont les scénarii: « si la marge de cette activité se dégrade jusqu’à 5%, alors je l’arrêterai »
En pratique :
- Pour toute décision, définissez une matrice d’évaluation avec 3 à 5 critères objectifs.
- Référez-vous y au moment du choix
- Si le choix est complexe et sur la durée, définissez en amont les décisions difficiles à prendre et les seuils d’alerte
Méthode #2 : Adoptez une posture basse et cultivez l’objection
La posture basse se définit comme une attitude d’écoute, d’égalité, de considération vis-à-vis des salariés, partenaires aux statuts hiérarchiquement moins élevés. Pourquoi adopter une posture basse dans la prise de décision alors que, en tant que dirigeant, nous sommes effectivement les décisionnaires finaux ? L’exemple de la compagnie aérienne Korean Airlines est édifiant. Dans les années 1990, Koréan Airlines a connu 12 accidents d’avion, entrainant la mort de 750 personnes. Les audits menés ont révélé une cause principale : l’excès d’autorité et le manque d’écoute. Dans le cockpit, les co-pilotes n’avaient pas été entendus ou n’avaient même pas osé s’exprimer. Ecoutez vos co-pilotes. Ils n’ont peut-être pas la solution, mais peuvent contribuer à la trouver.
Lorsque vous consultez les équipes, cultivez l’objection. Rien de pire qu’un consensus mou. C’est l’effet « groupthink » qui aboutit à des décisions intermédiaires, sans véritable adhésion. Une salle de réunion où tout le monde est d’accord est suspecte. Bannissez les formules telles que « si tout le monde est d’accord, passons au point suivant ». Vous n’obtiendrez que silence poli ou gêné. Donnez la parole à chacun avant de trancher définitivement.
En pratique
- Avant de prendre une décision, consultez et écoutez vos co-pilotes
- Procédez par tour de table, expression libre et bannissez les formules « si tout le monde est d’accord »
Méthode #3 : cultivez le point de vue externe
Lorsqu’il s’agit de prendre une décision professionnelle, notre lucidité peut être embrumée par nos émotions – « j’adore cette entreprise », nos certitudes « jamais nous n’automatiserons cette ligne de production ». C’est lorsqu’on est au cœur de l’action, que la perspective est la moins bonne.
Sollicitez les points de vue externes. D’autres personnes ont été confrontées à des problématiques proches. Parlez-leur. Vous hésitez à investir dans la publicité digitale ? Parlez-en à quelqu’un qui l’a fait. Vous ne savez pas sur quel pilier de votre activité investir ? Parlez-en à quelqu’un qui a décidé. Ces informations seront précieuses pour nourrir votre analyse.
Considérez les choses sous un autre angle. Lorsqu’il s’agit de décisions importantes, changez de perspective, à la manière du Cercle des Poètes disparus. Demandez-vous : « Que diraient nos successeurs de cette décision ? » « Que diraient nos clients de cette décision ? » « Que diraient mes enfants de cette décision ? » et pourquoi pas vous mettre à la place de votre mentor, votre référence dans le métier ?
En pratique
- Consultez ceux qui ont été confrontés à des problématiques proches
- Multipliez les points de vue en vous interrogeant « que diraient nos successeurs de cette décision ? »
Méthode #4 : pratiquez le juste multi-pistes
Connaissez-vous cette célèbre expérience? Sheena Iyengar, aujourd’hui professeur de commerce à l’université Columbia, est une étudiante résidant aux Etats-Unis, étourdie par la masse de choix dans les rayons de l’épicerie fine de son quartier. Elle se questionne : pourquoi achète-t-elle aussi peu alors que l’abondance est spectaculaire ? Elle convainc le directeur du magasin de la laisser tenir une table de dégustation, présentant des confitures. Toutes les deux heures, elle modifie son agencement proposant soit 24 parfums soit 6 parfums. Résultat : davantage de personnes s’arrêtent lorsque le choix est large …. Mais le passage à l’action est bien différent : 30 % de ceux qui s’arrêtent à la table la moins bien fournie repartent avec un pot, contre 3 % seulement des autres. Si vous ne voulez pas vous embourber dans le « paralysis by analysis », limitez les options : 3 ou 4 sont amplement suffisantes.
Pour autant, nous constatons souvent dans les organisations que les décisions sont binaires. Pour ou contre cette campagne TV ? Pour ou contre investir sur ce projet ? Nous incitons les cadres à présenter des « recommandations ». Une « recommandation » se dessine après l’étude de plusieurs pistes. Est-ce toujours le cas ? Malheureusement non. Gardons en tête les résultats de cette étude menée sur les entreprises allemandes de taille moyenne non cotées en bourse. A moyen terme, les bonnes décisions des conseils d’administration sont 6 fois plus nombreuses lorsque 2 ou 3 solutions sont étudiées.
Enfin, le multi-pistes permet de tempérer l’identification excessive à son projet et le biais de l’égo. Cela a notamment été mis en avant pour les travaux incluant des créatifs. Ils sont 80% à être satisfaits de leur travail s’ils réalisent plusieurs pistes en même, et ce, même si ce n’est pas leur piste préférée qui est retenue. Seulement 35% sont satisfaits lorsqu’ils travaillent sur une piste unique. Tant que faire se peut, impliquez les mêmes personnes sur l’étude de différentes options. Elles se sentiront plus investies, plus satisfaites et produiront, in fine, de meilleures propositions.
En pratique
- Considérez toujours plusieurs hypothèses, méfiez-vous des choix binaires
- Raisonnez avec 3 ou 4 options pas plus
- Impliquez tant que faire se peut les mêmes personnes sur les différents scénarii
Méthode #5 : trouvez vos points faibles avant les autres
Crazy in love. Si nous sommes impliqués dans l’entreprise, si nous créons notre business, il existe un risque réel : tomber en adoration devant sa société ou son produit. Nous ne voyons que les avantages, les inconvénients sont minimisés, voire ignorés. Et lorsque le produit sort sur le marché, nous nous étonnons « il est cher», « ce n’est pas la principale demande du moment ». Il est anormal d’arriver à ce type de déconvenues aussi tard dans le processus. Certains, en interne, avaient forcément identifié ces faiblesses.
Comment anticiper ces déconvenues pour les éviter ? En donnant des tribunes aux agaçants, aux ronchons, aux rabat-joie de la société. Des exercices simples existent. L’« avocat du diable » permet, en équipe d’identifier toutes les faiblesses d’une proposition. Le « pré-mortem » pose la question « Si nous avons échoué dans 3 ans, ce sera parce que… ». L’optimisme est un outil puissant mais qui ne doit pas aveugler. Identifions nos faiblesses.
En pratique
- Méfiez-vous de l’optimisme béat
- Triturez les options avec «l’avocat du diable », « le post mortem » pour identifier les points faibles
En synthèse
Se référer uniquement à l’intuition semble bien discutable, dans un contexte aussi incertain que le nôtre. Pesons, Réfléchissions, analysons. Nous n’avons pas le pouvoir de maîtriser l’environnement, mais nous avons le pouvoir de maitriser notre réflexion. Nous avons le pouvoir d’appliquer les ingrédients d’une meilleure décision en définissant en amont nos critères de choix, adoptant une posture basse, cultivant le point de vue externe, pratiquant le juste multi-pistes et en trouvant nos points faibles avant les autres. Pour une organisation, le pire choix est probablement le statu quo, le non choix. Alors intuitons, analysons, et lançons-nous !
Sources :
- Comment faire les bons choix, Chip et Dan Heath
- Les décisions absurdes, Christian Morel
- Vous allez commettre une terrible erreur, Olivier Sibony
- TED talk Barry Swarchz, le paradoxe du choix
- Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois
- Ma vraie vie de formatrice et facilitatrice d’ateliers stratégiques